Posted by : Carine Janssens
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PresseLes engagements d’achat, bientôt une coquille vide ? Vers une meilleure protection du franchisé-locataire commercial bruxellois.

Le 20 février 2025, une proposition d’ordonnance « modifiant la loi relative aux baux commerciaux en vue d’améliorer la protection du preneur commercial, en particulier dans le secteur horeca » a été déposée au parlement de la région de Bruxelles-capitale. Elle a pour objectif de rétablir l’équilibre entre le preneur et le bailleur, qui ferait souvent défaut dans la pratique. La question est toutefois de savoir si les amendements proposés ne manquent pas (et de loin) leur objectif. Les conséquences potentiellement importantes pour certains réseaux de franchise, tant dans l’horeca qu’au-delà, semblent en tout état de cause ne pas avoir été suffisamment réfléchies.
- Obligation d’achat sanctionnée
- Proposition
La proposition était concrètement motivée par la fermeture de certains cafés bruxellois « emblématiques » résultant de la problématique propre aux contrats dits de brasserie, où le bail commercial prévoit également une obligation d’achat de boissons. Des achats insuffisants peuvent entraîner la résiliation du bail commercial. Bien que le secteur de l’Horeca dispose depuis 2015 d’un code de conduite[1] qui interdit les clauses de résiliation du bail pour non-respect de l’obligation d’achat minimal, ce code de conduite n’offre pas, selon les initiateurs de la proposition, une sécurité juridique suffisante : le preneur commerçant doit avoir la certitude que son lieu d’exploitation restera préservé, pour autant qu’il respecte ses (seules) obligations locatives de preneur.
La proposition envisage par conséquent une séparation entre le bail commercial et tout autre contrat passé entre le preneur et le bailleur concernant les activités d’exploitation stricto sensu. Bien que les signataires du bail soient autorisées à y inclure des conditions en matière de mode et de modalités d’exploitation, le non-respect de ces conditions par le preneur ne peut entraîner ipso facto la perte du lieu d’exploitation. La proposition prévoit dès lors les ajouts suivants (dans la version bruxelloise) à la loi relative aux baux commerciaux :
- Un nouvel article 3bis, selon lequel « toute clause qui donne au bailleur le droit de mettre fin au bail pour non-respect par le preneur d’une obligation autre que celles reprises dans la présente section » est réputée non écrite ;
- Un deuxième alinéa vient s’ajouter à l’article 16, I concernant le refus de renouvellement du bail, dans lequel il est clairement indiqué que « les obligations liées à une obligation d’achat exclusif et/ou minimal de biens ne sont pas prises en considération » dans le cadre d’un refus pour manquement grave dans le chef du preneur.
Fait qui n’est pas sans importance : ces dispositions trouveraient à s’appliquer immédiatement, même aux contrats en cours et sans la moindre période de transition. C’est surtout sur ce point que le Conseil d’État se montre critique.[2]
- Considérations critiques concernant la proposition
L’objectif pourtant clairement affirmé de la proposition d’ordonnance prête toutefois le flanc à quelques considérations critiques quant à ses effets pratiques.
Une première remarque porte sur la formulation de l’article 3bis, qui fait référence au non-respect « d’une obligation autre que celles reprises dans la présente section ». La proposition ignore ainsi le fait que la loi relative aux baux commerciaux (« la présente section ») est loin d’énumérer toutes les obligations du preneur : la plupart de ses obligations découlent du droit commun (locatif). Bien que les initiateurs de la proposition aient uniquement visé dans leur article 3bis les clauses qui sanctionnent le non-respect d’une « obligation contractuelle qui ne touche pas au bail commercial en tant que tel » (par exemple une obligation d’achat), ils semblent avoir perdu de vue que — selon la formulation littérale de la proposition — les obligations locatives de droit commun du preneur sont elles aussi (involontairement) couvertes par cette disposition. Une certaine lecture du texte permettrait de considérer que le non-paiement du loyer ne constituerait plus un motif de résiliation du bail, au motif que l’obligation de payer le loyer ne serait pas incluse dans « la présente section ».
Les initiateurs de la proposition ne font en outre que peu de cas de la différence entre une « résiliation » et une « résolution » de la convention. Selon les développements, l’article 3bis veut interdire « la résiliation du bail commercial en tant que sanction » pour des manquements qui ne sont pas liés au bail (commercial) proprement dit. Dans le droit des obligations, la résiliation n’est toutefois pas un mécanisme de sanction. En introduisant une clause formelle résolutoire, les initiateurs de la proposition envisageaient peut-être l’insertion d’une clause servant effectivement à sanctionner un manquement. Une telle clause figurant dans un contrat de bail est toutefois déjà considérée à l’heure actuelle comme non écrite en vertu de l’article 1762bis de l’ancien Code civil. Se pose dès lors la question de savoir si l’article 3bis qui est proposé représente effectivement une valeur ajoutée par rapport aux règles existantes. La seule et unique situation dans laquelle cette nouvelle disposition pourrait avoir un effet bénéfique serait le cas où le bailleur demande la résolution judiciaire spécifiquement parce que le preneur n’a pas respecté une « obligation autre que celles reprises dans la présente section ».
Il semble bien que les initiateurs de la proposition n’aient pas suffisamment réfléchi aux effets pratiques de l’interdiction envisagée. Bien que la proposition semble supposer que les engagements relatifs à l’exploitation seront inclus dans le bail, tel n’est pas toujours le cas dans la pratique. Une convention distincte portant sur l’exploitation (par exemple un contrat d’achat, mais aussi un contrat de franchise ou un contrat de service distinct dans le cas des centres commerciaux) est souvent conclue en plus du bail commercial. Ce type de convention peut prévoir que le bail commercial (i) est accessoire à la convention et que, par conséquent (ii) il s’éteint automatiquement ou peut être terminé lorsque la convention prend fin pour quelque raison que ce soit. La proposition d’ordonnance n’aborde pas expressément la question de savoir si l’article 3bis trouve également à s’appliquer, le cas échéant, à de telles clauses qui ne sont pas incluses dans le bail commercial, mais bien dans une convention parallèle.
Ce dernier point fait également entrer la proposition dans la sphère du droit européen (de la concurrence). L’article 5.2 du Règlement d’exemption par catégories d’accords verticaux (2022/720) autorise formellement l’obligation d’achat exclusive si « les biens ou services contractuels sont vendus par l’acheteur à partir de locaux et de terrains dont le fournisseur est propriétaire ou que le fournisseur loue à des tiers non liés à l’acheteur, à condition que la durée de l’obligation de non-concurrence ne dépasse pas la période d’occupation des locaux et des terrains par l’acheteur ». Ce qui est autorisé par le droit européen de la concurrence peut ne pas être interdit par le droit national (article 3.2 du Règlement 2003/1). Une obligation d’achat (contraignante) constitue par ailleurs une raison décisive pour de nombreux franchiseurs de conclure un contrat de franchise avec un bail (accessoire) et de continuer leurs investissements de manière permanente. Ce qui est maintenant fortement hypothéqué par la proposition d’ordonnance, qui est de surcroît applicable avec effet rétroactif et pour les contrats en cours.
Il semble toutefois que même si la règle de l’article 3bis proposé peut en effet être appliquée à des clauses extérieures au bail commercial, elle pourra être contournée relativement aisément dans la pratique : l’article parle de « toute clause donnant au bailleur le droit de résilier », ce qui présuppose une décision active de la part du bailleur lors de la fin du bail. Or, si la fin du contrat parallèle (de franchise) est considérée comme une condition résolutoire du bail, la fin du bail interviendra le cas échéant automatiquement et la protection de l’article 3bis proposé restera donc sans effet. Ainsi, tout manquement à une obligation d’achat, ou à toute autre obligation découlant du contrat de franchise, pourrait donc toujours (valablement) entraîner la fin du bail (i) en cas de résiliation ou de résolution du contrat de franchise pour cause de manquement et (ii) lorsqu’il est prévu que le bail commercial expire automatiquement lorsque le contrat de franchise prend fin. En résumé, l’objectif des initiateurs de la proposition n’est pas atteint dans une telle hypothèse.
- Pas-de-porte
- Proposition
Une deuxième pierre d’achoppement concerne le pas-de-porte payé au bailleur par le (nouveau) preneur pour la jouissance d’un fonds de commerce déjà constitué ou de la notoriété créée lors d’exploitations antérieures des locaux. En l’absence de cadre légal, la liberté contractuelle joue pleinement sur ce point. Étant donné que le nouveau locataire reçoit en échange du pas-de-porte consisterait principalement dans le mérite de l’ancien exploitant, les initiateurs de la proposition estiment que la moitié (au moins) de la somme versée devrait être transférée à ce dernier sous certaines conditions. C’est ainsi que l’insertion d’un nouvel article 24bis dans la loi relative aux baux commerciaux est proposée à cette fin.
Force est de remarquer que cette obligation de transfert trouve à s’appliquer dès que la location a pris fin en application de l’article 3 (résiliation) ou de l’article 16, I, 1°, 3° ou 5° de la loi relative aux baux commerciaux (refus de renouvellement du bail). Le mécanisme joue donc également lorsque le locataire précédent a lui-même mis fin au bail. Aucun transfert n’est en revanche prévu en cas de refus de renouvellement sans motif (article 16, IV de la loi relative aux baux commerciaux). Une exception à l’obligation de transfert s’applique toutefois lorsque le bailleur peut prouver que l’ancien locataire a commis un manquement grave (sous le bail, et non uniquement dans un contrat de franchise ou autre contrat connexe). Cette obligation de transfert ne trouve pas non plus à s’appliquer en cas de refus de renouvellement « pour donner au bien immobilier une destination qui exclut toute entreprise commerciale ». Dans ce cas, il n’y a donc en toute hypothèse, pas de goodwill indemnisable.
- Considérations critiques concernant la proposition
D’un point de vue conceptuel, on peut se demander si le preneur qui résilie lui-même son bail doit pouvoir prétendre à une partie du pas-de-porte versé par le preneur suivant. Il ne s’agit d’ailleurs pas tant d’une question « morale ». Il n’est en effet pas rare que le preneur donne lui-même son préavis lorsque son exploitation est déficitaire et qu’il n’a (donc) pas trouvé lui-même de repreneur. C’est précisément dans ce cas de figure que le bailleur sera amené — contraint — à investir dans l’établissement pour le redynamiser. Ce qui nous amène dans le vif du sujet. Le pas-de-porte payé par le nouveau preneur n’est pas toujours — tant s’en faut — (exclusivement) lié au goodwill (ou à d’autres « mérites ») réalisé par le précédent preneur. Cela est particulièrement vrai dans le cadre de la franchise, où le goodwill pertinent est moins lié à l’emplacement ou aux mérites d’un ancien exploitant, qu’à l’enseigne du franchiseur. Une question ouverte est également de savoir si les frais d’entrée ou de démarrage demandés dans le cadre du contrat de franchise doivent être qualifiés de « droit d’entrée » à reverser.
On peut par ailleurs se demander pourquoi le preneur qui signifie son congé avant terme pourrait prétendre à une partie du pas-de-porte, alors que le preneur qui fait de même en renonçant (délibérément) à renouveler le bail commercial n’y aurait pas droit. Aucune justification n’est, non plus, apportée pour cette distinction.
Il ne va pas non plus de soi que le preneur dont la demande de renouvellement du bail a été refusée doive pouvoir prétendre à une partie du pas-de-porte. En effet, en toute hypothèse, ce preneur pourra déjà prétendre à une indemnité d’éviction pour compenser la perte (partielle) de son exploitation et de son goodwill (art. 25 de la loi relative aux baux commerciaux). Cette indemnité est généralement forfaitaire. Le preneur peut toutefois se pourvoir devant le juge « si l’indemnité apparaît manifestement insuffisante en raison du profit que le bailleur a retiré de l’éviction » (art. 25, alinéa 4 de la loi relative aux baux commerciaux). Le pas-de-porte payé par un nouveau locataire peut être un élément à cet égard. Dans de tels cas, le montant du pas-de-porte payé par le nouveau preneur peut également être (en partie) lié aux frais et aux investissements supportés par le bailleur et non (uniquement) au goodwill (ou à d’autres mérites) généré par un précédent exploitant. D’un point de vue tout à fait théorique, ce goodwill aurait d’ailleurs tout aussi bien pu être réalisé par le bailleur lui-même (par exemple, suite à sa propre exploitation entre les deux baux).
La proposition contient enfin aussi quelques maladresses. C’est ainsi par exemple que l’emplacement du deuxième alinéa ajouté à l’article 16, I de la loi relative aux baux commerciaux est pour le moins malheureux. Selon les développements, cet ajout semble avoir eu pour objectif d’exclure toute discussion concernant l’obligation d’achat de la qualification de « manquement grave » justifiant le refus du renouvellement du bail. Le choix logique aurait été d’ajouter la phrase proposée à l’article 16, I, 4° de la loi relative aux baux commerciaux qui porte sur le refus de renouvellement pour manquement grave. L’insertion dans un nouveau deuxième alinéa distinct de l’article 16, I, de la loi relative aux baux commerciaux ne permet toutefois pas d’établir un lien entre cet ajout et le refus sur pied de l’article 16, I, 4° de la loi relative aux baux commerciaux, ce qui, selon une lecture stricte du texte de loi, ne permet pas d’atteindre l’objectif poursuivi par les initiateurs de la proposition.
De même, l’absence susmentionnée d’une obligation de transfert du pas-de-porte en cas de refus de renouvellement du bail sans motif semble davantage résulter d’un oubli que d’un choix délibéré des initiateurs de la proposition. Les développements de la proposition ne comportent en tout état de cause aucune motivation formelle de la raison pour laquelle le transfert ne serait pas applicable dans cette dernière hypothèse, bien que l’on puisse toujours argumenter que c’est précisément dans cette hypothèse que le preneur peut réclamer l’intégralité du préjudice qu’il a réellement subi (article 16, IV, in fine) et qu’une protection supplémentaire est de ce fait superflue.
- conclusion
Nous pouvons conclure que, bien que l’intention et les motivations des initiateurs de la proposition soient très claires dans les développements de la proposition d’ordonnance, la légistique concrète laisse quelque peu à désirer. L’impact plus large sur les contrats qui ne sont pas des contrats de l’Horeca ou des contrats de brasserie (en particulier les contrats de franchisage) ne semble pas non plus avoir été pleinement réfléchi. L’entrée en vigueur immédiate prévue pour les contrats en cours est également discutable. Les obligations d’achat (exclusifs) contraignantes sont pourtant un élément décisif pour de nombreux franchiseurs lorsqu’ils concluent un (sous-)contrat de bail principal. Il n’est pas certain que cette proposition soit effectivement présentée et adoptée (à court terme) au Parlement bruxellois, d’autant plus en raison de l’absence de gouvernement dans la Région de Bruxelles-Capitale à l’heure actuelle.
[1] https://www.horecavlaanderen.be/gedragscode. Une version actualisée de ce code de conduite est en préparation.
[2] Avis 77.606/3 du Conseil d’État du 5 mai 2025 : « À moins d’une raison spécifique justifiant une dérogation au délai usuel d’entrée en vigueur des ordonnances, fixé par l’article 33, alinéa 2, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 “concernant les institutions bruxelloises”, il faut renoncer en principe à l’entrée en vigueur immédiate afin d’accorder à chacun un délai raisonnable pour prendre connaissance des nouvelles règles. »