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PresseLa condition résolutoire tacite: le caillou dans la botte du législateur wallon ?
Le 16 janvier 2024, la 1ère chambre civile du Tribunal de Première Instance du Brabant Wallon, statuant en degré d’appel, a rendu un important jugement pour le monde de la franchise. En effet, dans ce jugement, le Tribunal a validé la possibilité pour le bail commercial, portant sur un bien situé en Wallonie, de prendre automatiquement fin au terme du contrat de franchise, dont le renouvellement n’avait pas été accordé au franchisé.
Saluons un jugement qui a le mérite, dans l’intérêt de la franchise, de relativiser l’impact de la modification de l’article 1er de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux, voulue par le législateur wallon en 2018.
Selon les travaux préparatoires de cette modification de la loi, le législateur wallon avait pour ambition de renforcer — de manière, toutefois, fort relative comme nous le verrons ci-après — la protection du franchisé-locataire lorsque le franchiseur est aussi le bailleur Concrètement, l’objectif était de permettre (voire, en réalité, d’imposer) au franchisé de continuer à occuper les lieux loués en cas de rupture du contrat de franchise.
Selon certains auteurs, le législateur avait notamment à dessein d’invalider une certaine jurisprudence qui, dans certaines circonstances, considérait le bail comme l’accessoire du contrat de franchise et en déduisait que la fin du contrat de franchise entrainerait automatiquement la fin du contrat de bail.
Or, comme le relève justement le Tribunal de première instance dans le jugement susmentionné, si le droit commun du bail interdit les clauses résolutoires expresses (résolution automatique du contrat de bail, en raison d’un manquement par l’une des parties à une obligation contractuelle), lesquelles sont réputées non écrites, conformément à l’article 1762bis du Code civil, « il échet cependant de relever que la loi relative aux baux commerciaux, certes impérative, n’empêche cependant pas de prévoir, dans le contrat de bail commercial lui-même une condition résolutoire (un évènement futur et incertain entraînant l’extinction de l’obligation en cas de réalisation), pour autant qu’elle n’ait pas pour effet de prévoir une durée inférieure à celle prévue par l’article 3 de la loi relative aux baux commerciaux. Comme le relève la jurisprudence, ainsi que la doctrine autorisée, la condition résolutoire est valable et peut de surcroît, être implicite, pour autant qu’elle résulte de manière certaine de la volonté des parties.
Ce courant jurisprudentiel et doctrinal a, depuis lors, été formellement entériné dans le droit positif par le législateur belge. En effet, désormais, l’article 5.142 du nouveau Code civil stipule que » les obligations sont affectées d’une condition résolutoire tacite lorsqu’il résulte de manière certaine de l’intention des parties, eu égard à la nature et à la portée du contrat, que celui-ci doit prendre fin notamment:
(…)
2° en cas d’extinction d’un autre contrat dont les parties avaient entendu faire dépendre le sort du premier contrat. »
Sur cette base, le Tribunal a alors procédé à une analyse combinée du contrat de bail litigieux et du contrat de franchise, dont il est ressorti de manière certaine et sans équivoque que l’intention manifeste des parties était :
- « de conclure deux conventions dont les causes sont communes et interdépendantes contractuellement (ce qui est de surcroît explicitement écrit) ;
- De prévoir une condition résolutoire du contrat de bail commercial expressément liée au terme du contrat de franchise »
Parmi les éléments substantiels retenus par le Tribunal pour établir cette intention certaine des parties, on retiendra :
- Le fait que les parties ont expressément considéré la destination du bail (« loués à usage exclusif d’un magasin faisant partie du réseau du bailleur à exploiter par le preneur en sa seule qualité de membre dudit réseau. Il est donc expressément convenu que le bailleur ne consent le présent bail au preneur que pour permettre l’exploitation dans les lieux loués d’un commerce dans le cadre de la convention dont question à l’alinéa 1. « ) comme déterminante pour la conclusion du bail commercial ;
- L’engagement du franchisé-locataire, dès la conclusion du contrat, à céder le bail à un membre du réseau du bailleur, agréé par le franchiseur-bailleur ou à résilier anticipativement et amiablement le bail, en cas de fin du contrat de franchise;
- La relation d’interdépendance entre les contrats de bail et de franchise, en lieu et place d’une accessoirisation du contrat de bail par rapport au contrat de franchise. Le contrat de bail prévoyait, en effet, expressément que le contrat de franchise et le contrat de bail avaient les mêmes causes et que, dès lors, la résolution ou la résiliation de l’une de ces deux conventions devait emporter pour l’autre le même sort. Non seulement le contrat de bail prenait fin si le contrat de franchise prenait fin, mais l’inverse était également vrai. Cette interdépendance des contrats était également expressément prévue dans le contrat de franchise ;
- Le fait que la durée des deux conventions était identique ;
- La procédure de demande de renouvellement des deux contrats était parfaitement alignée en terme de « timing ». En effet, le locataire-franchisé avait la possibilité de demander le renouvellement du contrat de franchise 18 mois avant le terme du contrat ;
- Une option d’achat du fonds de commerce était prévue par le contrat de franchise et était également reprise dans le contrat de bail commercial ;
- Le contrat de bail commercial faisait constamment référence au contrat de franchise.
Pour le surplus, cette condition résolutoire tacite ne contrevenait en rien aux dispositions impératives de la loi sur les baux commerciaux en termes de durée, dans la mesure où elle n’avait ni pour objectif ni pour effet de réduire la durée du bail commercial …
Par ailleurs, le mécanisme contractuel, accepté et mis en place par les parties, permettait in fine de rencontrer la volonté du législateur, dans la mesure où, malgré l’absence d’indemnité d’éviction pour le preneur, il prévoyait:
- une méthode de valorisation précise du fonds de commerce, convenu à l’avance par les parties,
- une option d’achat pour le bailleur du fonds de commerce du preneur permettant ainsi de s’assurer que le fonds de commerce serait en tous cas monnayé et que le franchisé-locataire ne subirait donc aucune perte de fonds de commerce;
Enfin le Tribunal a considéré que la réalisation de la condition résolutoire tacite, donnant lieu à une rupture automatique du contrat de bail commercial, ne pouvait être qualifiée de purement potestative (dont la survenance dépendait de la seule volonté de l’une des parties, et en l’occurrence du bailleur), sachant qu’elle dépendait du terme du contrat de franchise, tel que fixé de commun accord par les parties.
Il était, en effet, clair et non-équivoque pour les deux parties, depuis la conclusion des contrats de franchise et de bail commercial, que le contrat de bail commercial prendrait automatiquement fin au terme du contrat de franchise, et vice-versa, sauf renouvellement accordé par le franchiseur-bailleur.
Suite à ce jugement d’appel, le franchisé-locataire a décidé de se pourvoir en cassation. Affaire à suivre donc…
Auteur : Marie Canivet et Frédéric Paque
