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Contrat de franchise : comment apprécier la validité d’une clause de non-concurrence applicable après la fin du contrat ?

En cas de rédaction d’un contrat de franchise ou en cas de rupture d’un contrat de franchise, il est courant de se demander si l’interdiction pour le franchisé de reprendre une activité identique ou similaire (mais en concurrence avec le franchiseur) sera ou a été valablement conclue lors de la signature du contrat.

Outre la question du respect des règles légales relatives à l’obligation d’information précontractuelle, il convient de vérifier la validité de la clause de non-concurrence.

Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 mai 2023 (Pôle 5, Chambre 4, n° 21/01738) mérite d’être examiné en détail car il se penche sur cette question à l’occasion de rupture d’un contrat de franchise par le franchiseur (contrat concernant un concept de construction de maisons « en prêt à finir : la finition de la maison par le propriétaire lui permet de faire des économies sur le coût global de la construction). Cette analyse est transposable en droit belge.

La clause de non-concurrence était composée de 3 interdictions : interdiction de conclure un contrat de franchise ou de s’affilier à un réseau comparable (c’est-à-dire construction de maisons « en prêt à finir) pendant 1 an en France ; interdiction de créer un réseau concurrent pendant 2 ans en France ; interdiction de poursuivre une activité de construction de maisons individuelles (c’est-à-dire toute construction même ne se limitant pas au « prêt à finir ») pendant 1 an dans le territoire exclusif concédé au franchisé.

Le franchiseur défendait la validité de cette clause en ce qu’elle avait pour objectif d’éviter le détournement de son savoir-faire par un concurrent. Le franchisé revendiquait la nullité de cette clause en ce qu’elle n’était pas limitée à ses locaux.

Pour départager les parties, la Cour d’appel invoque le règlement d’exemption n° 330/2010. Son application n’est pas confirmée dans le cas d’espèce, mais, selon la Cour, il reste un guide d’analyse utile pour interpréter les règles nationales. La Cour dit « que les clauses de non-concurrence post-contractuelles peuvent être considérées comme inhérentes à la franchise dans la mesure où elles permettent d’assurer la protection du savoir-faire transmis qui ne doit profiter qu’aux membres du réseau et de laisser au franchiseur le temps de réinstaller un franchisé dans la zone d’exercice de l’activité … Elles doivent cependant rester proportionnées à l’objectif qu’elles poursuivent … Une clause de non-concurrence, en ce qu’elle porte atteinte à la liberté du commerce, doit être justifiée par les intérêts légitimes de son créancier … et ne pas porter une atteinte excessive à la liberté de son débiteur, c’est-à-dire être limitée quant à l’activité, l’espace et le lieu qu’elle vise ».

La Cour estime que, dans le cas d’espèce, la clause restreint de manière excessive la liberté d’exercice de la profession du franchisé et outrepasse la protection du savoir-faire du franchiseur par son étendue géographique, sa durée et l’extension de l’activité interdite (toute construction et pas seulement la construction en « prêt à finir »).

Ce qu’il faut retenir de cet arrêt :

  1. les clauses de non-concurrence post-contractuelles peuvent être considérées comme inhérentes à la franchise dans la mesure où elles permettent d’assurer la protection du savoir-faire transmis qui ne doit profiter qu’aux membres du réseau et de laisser au franchiseur le temps de réinstaller un franchisé dans la zone d’exercice de l’activité.
  2. le règlement d’exemption, même si son application n’est pas confirmée dans certains cas (seuils de part de marché non atteints), reste un guide d’analyse utile pour interpréter les règles nationales.
  3. La mise au point d’une clause de non-concurrence dans un contrat de franchise doit se faire dans le respect du droit fondamental d’exercer un commerce et une industrie garanti initialement en Belgique et en France par le décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791 et à ce jour, en Belgique, par les articles II.3 et II.4 du Code de droit économique. Pour rappel, le décret d’Allarde était justifié par la volonté de mettre fin à un régime corporatif sclérosant, la libre entreprise étant noyée sous le poids des réglementations. L’article 23 de la Constitution belge, qui depuis 1994 consacre le libre choix d’une activité professionnelle parmi les droits économiques, sociaux et culturels, peut également être vu comme une manifestation constitutionnelle de la liberté d’entreprendre.

Conclusion

Même si le principe même d’une clause de non-concurrence dans un contrat de franchise est validé par la jurisprudence, il faut faire preuve de prudence en libellant une clause de non-concurrence ; il n’y a pas de modèle de clause de non-concurrence valable pour tous les contrats de franchise ; il faut tenir compte notamment du type d’activité exercée par le franchisé, du savoir-faire protégeable du franchiseur et de la zone d’exclusivité concédée éventuellement au franchisé.

Rappelons aussi les dispositions figurant dans le règlement d’exemption (règlement (UE) 2022/720) et dans les lignes directrices de ce règlement (Lignes directrices sur les restrictions verticales 2022/C 248/01 – C/2022/4238) qui, en tout état de cause, comme le rappelle la Cour de Paris, constituent un guide d’analyse utile pour interpréter les règles nationales si le règlement ne s’applique pas directement à l’activité concernée. Ces dispositions sont reprises ci-dessous.

Le 15 juillet 2023

Pierre Demolin

DBB LAW

 

Règlement d’exemption (UE) 2022/720) – Article 5 – Restrictions exclues

1.   L’exemption prévue à l’article 2 ne s’applique pas aux obligations suivantes contenues dans des accords verticaux :

(a) toute obligation directe ou indirecte de non-concurrence dont la durée est indéterminée ou dépasse cinq ans;
(b) toute obligation directe ou indirecte interdisant à l’acheteur, à l’expiration de l’accord, de fabriquer, d’acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services;
(c) toute obligation directe ou indirecte imposant aux membres d’un système de distribution sélective de ne pas vendre les marques de fournisseurs concurrents déterminés;
(d) toute obligation directe ou indirecte interdisant à un acheteur de services d’intermédiation en ligne d’offrir, de vendre ou de revendre des biens ou des services à des utilisateurs finals à des conditions plus favorables par le biais de services d’intermédiation en ligne concurrents.

2.   Par dérogation au paragraphe 1, point a), la limitation de la durée à cinq ans n’est toutefois pas applicable lorsque les biens ou services contractuels sont vendus par l’acheteur à partir de locaux et de terrains dont le fournisseur est propriétaire ou que le fournisseur loue à des tiers non liés à l’acheteur, à condition que la durée de l’obligation de non-concurrence ne dépasse pas la période d’occupation des locaux et des terrains par l’acheteur.

3.   Par dérogation au paragraphe 1, point b), l’exemption prévue à l’article 2 s’applique à toute obligation directe ou indirecte interdisant à l’acheteur, à l’expiration de l’accord, de fabriquer, d’acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services, lorsque l’ensemble des conditions suivantes sont remplies :

(a) l’obligation concerne des biens ou des services en concurrence avec les biens ou services contractuels;
(b) l’obligation est limitée aux locaux et aux terrains à partir desquels l’acheteur a exercé ses activités pendant la durée du contrat;
(c) l’obligation est indispensable à la protection d’un savoir-faire transféré par le fournisseur à l’acheteur;
(d) la durée de l’obligation est limitée à un an à compter de l’expiration de l’accord.

Le paragraphe 1, point b), ne porte pas atteinte à la possibilité d’imposer, pour une durée indéterminée, une restriction à l’utilisation et à la divulgation d’un savoir-faire qui n’est pas tombé dans le domaine public.

Lignes directrices sur les restrictions verticales 2022/C 248/01 – C/2022/4238:

Art. 6.2.2.   Obligations de non-concurrence subsistant à l’expiration de l’accord

(250)  Conformément à l’article 5, paragraphe 1, point b), en liaison avec l’article 5, paragraphe 3, du règlement (UE) 2022/720, les obligations de non-concurrence imposées à l’acheteur qui continuent à s’appliquer après l’expiration de l’accord sont exclues du bénéfice de l’exemption par catégorie, sauf si toutes les conditions suivantes sont remplies :

(a) l’obligation est indispensable à la protection d’un savoir-faire transféré par le fournisseur à l’acheteur;
(b) elle est limitée au point de vente à partir duquel l’acheteur a exercé ses activités pendant la durée du contrat;
(c) elle est limitée à une période maximale de un an.

(251)  Le savoir-faire concerné doit être secret, substantiel et identifié au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point j), du règlement (UE) 2022/720; il doit notamment comporter des informations significatives et utiles à l’acheteur pour l’utilisation, la vente ou la revente des biens ou services contractuels.