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L’important revirement de jurisprudence de la cour de cassation en matière d’arbitrabilité d’un litige de concession de vente exclusive à durée indéterminée

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Nous avions publié le 28 février 2023 sur ce site un commentaire d‘un jugement rendu le 10 mai 2022 par le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles qui avait considéré que les dispositions du titre 3 du livre X du Code de Droit Economique (ancienne loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée) étaient applicables à un contrat de franchise de distribution. Ce jugement emportait ainsi pour conséquence que, à l’expiration d‘un contrat de franchise de distribution qui répondrait par ailleurs aux conditions d’application des dispositions de ce titre 3, le franchisé pourrait prétendre à la protection résultant de ces dispositions.

Pour rappel, ces conditions sont les suivantes :
1) Le contrat doit avoir été conclu pour une durée indéterminée (ce qui est rarement le cas en matière de franchise) ou, s’il a été conclu pour une durée déterminée, doit avoir fait l’objet de deux renouvellements (ce qui peut se présenter en matière de contrat de franchise),
2) Le contrat doit accorder au distributeur une exclusivité (laquelle peut porter sur un territoire déterminé ou une clientèle déterminée et éventuellement être partagée), une quasi-exclusivité ou imposer au distributeur des obligations importantes (ce qui sera normalement toujours le cas en matière de contrat de franchise)

Quant à la protection, elle consiste en ceci :
1) Le concessionnaire évincé a droit à un préavis raisonnable en fin de contrat. La durée de ce préavis ne peut être déterminée à l’avance mais doit être fixé de commun accord par les parties à l’expiration du contrat ou, à défaut d’accord, par le juge, qui statuera également en équité et en tenant compte des usages.
2) Le concessionnaire évincé a également droit à une indemnité complémentaire, pouvant couvrir les frais de licenciement du personnel dont le délai de préavis serait supérieur à celui qu’il a reçu, le remboursement des frais qu’il aurait consentis peu avant l’expiration du contrat qui profiteront donc concédant après l’expiration de celui-ci et, surtout, à une indemnité de clientèle.

En la matière, la question de savoir si un litige relatif à la résiliation d’un contrat de concession de vente pouvait être soumis à un arbitrage était controversée.
La jurisprudence ancienne considérait en effet qu’une clause d’arbitrage n’était valable que s’il n’avait pas pour but ou effet d’écarter l’application du droit belge. Cette interprétation reposait sur l’article X.39 du CDE qui dispose que :
« Le concessionnaire lésé, lors d’une résiliation d’une concession de vente produisant ses effets dans tout ou partie du territoire belge, peut en tout cas assigner le concédant, en Belgique, soit devant le juge de son propre domicile, soit devant le juge du domicile ou du siège du concédant. Dans le cas où le litige est porté devant un tribunal belge, celui-ci appliquera exclusivement la loi belge ».
La Cour de cassation avait dès lors jugé, dans un célèbre arrêt Audit-NSU du 28 juin 1979, que les litiges relatifs à la résiliation par le concédant d’un contrat de concession exclusive portant ses effets dans tout ou partie du territoire belge n’est pas arbitrable si cet arbitrage « a pour but ou pour effet d’entraîner l’application d’une loi étrangère (1) ».

Sur base de l’évolution des règles et de la jurisprudence en droit international privé ; sur laquelle nous reviendrons dans un autre article, la Cour de cassation a récemment opéré un important revirement de jurisprudence dans son arrêt du 7 avril 2022 en mettant fin à la condition d’application du droit belge par les arbitres en tant que critère d’arbitrabilité des litiges relatifs à la résiliation des contrats de concession de vente exclusive.

En matière de contrat de franchise, il emporte donc que, même si un contrat de franchise de distribution devait, comme l’a jugé le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles dans son jugement du 28 février 2023 dont question ci-dessus, être considéré comme soumis au régime applicable à la résiliation des contrats de concession de vente, une clause d’arbitrage qui prévoirait l’application d’un droit étranger serait valable.

Patrick Kileste

 

(1) Cass., 28 juin 1979, Pas., 1979, I, p. 1260 ; R.C.J.B., 1981, p. 332 et note VANDER ELST.