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Réforme imminente du droit de l’insolvabilité : nouvelles opportunités pour les franchises et les franchiseurs en difficulté

La transposition de la directive sur la restructuration: une histoire européenne

Beaucoup d’entreprises traversent une période difficile ; en témoigne le nombre croissant de faillites. Le secteur de la franchise n’est pas épargné. Il existe toutefois des alternatives. En effet, alors que l’approche classique consistait à retirer rapidement les entreprises « défaillantes » du circuit économique, l’accent est de plus en plus mis sur la préservation de leur continuité. En Belgique, la loi relative à la continuité des entreprises (LCE) de 2009, telle qu’elle est actuellement incorporée dans le Livre XX du Code de droit économique, en est le meilleur exemple. Au niveau européen, la directive sur la restructuration du 20 juin 2019 impose aux États membres de prévoir, entre autres, des options de restructuration (préventives). La directive vise également à réduire les différences entre les règles nationales en matière d’insolvabilité (harmonisation minimale), ce qui est important pour les franchiseurs et les (master) franchisés opérant au-delà des frontières.

Les États membres devaient fournir les dispositions de transposition nécessaires avant le 17 juillet 2021. Bien que la Belgique ait obtenu une prolongation jusqu’au 17 juillet 2022, ce délai n’a pas été respecté. Ce n’est que le 25 mai 2023 que le Projet de loi transposant la directive sur la restructuration a été voté et approuvé par le Parlement. L’entrée en vigueur est prévue pour le 1er septembre 2023.  Les principales modifications sont brièvement discutées ci-dessous.

Rôle ELARGI pour la CED

La directive exige des États membres qu’ils encouragent l’utilisation de plans de restructuration préventifs en informant et en sensibilisant les entreprises en difficulté. En droit belge de l’insolvabilité, les Chambres des entreprises en difficulté (« CED ») des tribunaux de l’entreprise sont chargées de cette tâche. Lorsque certains clignotants se déclenchent (par exemple, des saisies ou des jugements par défaut), la CED peut ouvrir une enquête et convoquer le débiteur (art. XX.25, §2 CDE). Le cas échéant, elle peut renvoyer le dossier à la faillite, à la nomination d’un administrateur provisoire ou à la dissolution judiciaire (art. XX.29 CDE).

La CED aura un rôle plus important et pourra, à l’initiative du débiteur, servir de médiateur pour obtenir un accord avec les principaux créanciers (art. XX.29/1 du CDE) et/ou nommer un praticien de la réorganisation indépendant car il arrive souvent que le franchiseur soit le créancier principal. D’autres modifications incluent un certain nombre d’indicateurs qui peuvent indiquer une insolvabilité imminente, tels que des changements dans le nombre d’employés (art. XX.21/2 CDE) et une extension du délai pour un examen d’office (art. XX.28 CDE).

ACCORD amiable hors réorganisation judiciaire

L’accord amiable extrajudiciaire continuera d’exister. Ce qui est nouveau, c’est qu’un tel accord pourra également être conclu avec un seul créancier (art. XX.37, §1 CDE), alors qu’actuellement au moins deux créanciers sont encore nécessaires. Il s’agit là d’une modification bienvenue. Il n’est pas rare qu’il y ait un seul créancier, par exemple la banque, le franchiseur ou le propriétaire (commercial), dont la créance dépasse largement celle des autres et/ou sans la coopération duquel l’entreprise n’a aucune chance de survie. Chaque partie peut désormais prendre l’initiative de faire approuver l’accord amiable par le tribunal et, le cas échéant, de lui donner un caractère exécutif (art. XX.38, §1 CDE).

Modifications de la procédure de réorganisation judiciaire

Afin de préserver autant que possible la continuité des entreprises en difficulté, la directive impose aux États membres de prévoir des cadres de restructuration préventifs, dont les principaux sont le « débiteur en possession » et la « suspension des mesures d’exécution individuelles ». Le droit belge connaît déjà la réorganisation judiciaire (art. XX.39 à 97 CDE). Elle se présente sous trois formes : l’accord amiable judiciaire, l’accord collectif et le transfert sous autorité judiciaire. Chacune de ces trois formes est plus ou moins ajustée.

1. La réorganisation judiciaire publique par accord amiable
Afin d’abaisser le seuil de la procédure de règlement amiable, le projet de loi prévoit qu’un règlement amiable peut être conclu avec un créancier au lieu d’au moins deux (article XX.64 WER). En outre, le tribunal peut imposer un plan (contraignant) de paiement aux créanciers avec lesquels un règlement à l’amiable n’a pas pu être conclu (article XX.65 CDE).

2. Réorganisation judiciaire publique par convention collective
Pour les PME, et par conséquent pour la majorité des franchisés, le système actuel reste globalement le même. L’idée de base reste le vote de tous les créanciers ensemble, indépendamment de la nature et de l’étendue de leurs créances. Le plan de réorganisation est réputé approuvé si la majorité des créanciers, qui représentent également la moitié de tous les montants dus en principal, votent en sa faveur (art. XX.78 CDE). L’homologation par le tribunal le rend opposable à tous les créanciers en suspension (art. XX.82 CDE). Une autre nouveauté est la possibilité de paiement immédiat des créances nominales (art. XX.72 CDE) et le dépôt possible du plan de réorganisation par l’administrateur provisoire ou le praticien de la réorganisation (art. XX.77, §1 CDE).

L’impact est plus important pour les grandes entreprises, c’est-à-dire les sociétés, associations ou fondations qui dépassent un ou plusieurs des critères suivants pendant deux exercices consécutifs : (i) une moyenne annuelle de 250 employés, (ii) un chiffre d’affaires annuel hors TVA de 40.000.000,00 euros et/ou (iii) un total de bilan de 20.000.000,00 euros. Mandaté par la directive sur la restructuration, le projet de loi prévoit une nouvelle réglementation complexe basée sur une classification et un vote par classes (art. XX.83/14 CDE). Ce faisant, il faut au moins prévoir des classes différentes pour les créanciers extraordinaires, par exemple les créanciers hypothécaires, et les créanciers ordinaires (chirographaires). Les actionnaires peuvent également intervenir lorsque leurs intérêts sont affectés (art. XX.83/11, §4 CDE). En principe, dans chaque classe, les créanciers représentant la moitié de tous les montants et intérêts dus en principal doivent voter en faveur de la décision. Un décompte n’est pas obligatoire mais Ceux qui ne participent pas au vote ne sont pas pris en compte. Il existe toutefois deux exceptions importantes. D’une part, le tribunal doit examiner si le critère de l’intérêt des créanciers a été respecté (article XX.83/17 du CDE). D’autre part, le tribunal peut passer outre le vote dissident d’une ou plusieurs catégories dans des circonstances bien définies, lorsqu’il est en faveur des créanciers (art. XX.83/18 CDE).

Il est également intéressant de noter que les PME peuvent opter pour ce système, plus complexe, qui sera introduit pour les grandes entreprises (art. XX.83/1 CDE). Vraisemblablement, peu de PME le choisiront.

Transfert sous autorité judiciaire

La troisième forme de réorganisation judiciaire est la plus étendue : le transfert sous autorité judiciaire de (partie des) activités (art. XX.84 CDE). Ce transfert est organisé par un mandataire de justice (art. XX.85 CDE). La finalité change. Alors que, jusqu’à présent, le sort du débiteur était laissé en suspens après le transfert, le nouvel article XX.93/1 CDE oblige le tribunal à assigner le débiteur en déclaration de faillite ou de liquidation. La question de la continuité ne se pose donc plus.

Cette modification de la loi a été motivée par la jurisprudence Plessers de la Cour de justice, selon laquelle la CCT 32bis s’applique à un transfert sous autorité de justice (parce qu’elle vise la continuité). Cette disposition interdit à l’acquéreur de choisir lesquels des travailleurs il souhaite reprendre, ce qui hypothèque souvent les chances d’une relance réussie. En transformant le transfert sous autorité de justice en procédure de liquidation, ce qui fait relever la procédure de l’exception prévue à l’article 5 de la directive 2001/23/CE, le législateur offre aux acquéreurs intéressés la possibilité de choisir, du moins dans la mesure où ce choix est basé sur des critères techniques, économiques et organisationnels (art. XX.86, §3 CDE). Pour le reste, l’impact concret est limité. Dans la pratique, un transfert a presque toujours été suivi d’une faillite ou d’une liquidation de l’entreprise transférée.

Accord amiable et collectif en variante privée

L’ouverture d’une procédure de réorganisation judiciaire est publiée au Moniteur belge et apparaît dans la Banque Carrefour des Entreprises. Cette publicité négative fait que de nombreuses entreprises hésitent (trop longtemps) à franchir le pas. Le législateur veut y remédier en introduisant deux variantes privée : l’accord amiable et collectif privés (art. XX.97/1 CDE). Avec l’aide d’un praticien de la réorganisation désigné par le tribunal, le débiteur peut négocier un accord amiable ou un plan de réorganisation. Le débiteur choisit lui-même les créanciers à impliquer (art. XX.97/1, §1 CDE). Pour les autres, rien ne change, aucune suspension ne peut leur être imposée. Comme toujours, il reste à voir si ces nouvelles procédures seront fructueuses. Le caractère privé est indéniablement un atout important.

Faillite silencieuse (pre-pack)

L’introduction de la faillite silencieuse était déjà prévue lors de l’entrée en vigueur du Livre XX CDE en 2017, mais elle n’a finalement pas eu lieu. Le projet de loi donne une nouvelle chance à la faillite silencieuse, également appelée procédure de préparation privée d’une faillite ou pre-pack.

Une entreprise qui s’estime en état de faillite peut déposer une requête demandant à être déclarée comme telle après avoir eu la possibilité de préparer, en privé, le transfert de tout ou partie de ses actifs et de ses activités (art. XX.97/21, §1 CDE). Par le biais d’un transfert « in going concern », le législateur veut obtenir une situation gagnant-gagnant par rapport à la faillite classique, qui est immédiatement déclarée et publiée (avec toutes les conséquences négatives afférentes). Deux nouveaux praticiens de l’insolvabilité sont introduits pour cette nouvelle procédure : le « curateur potentiel » et le « juge-commissaire potentiel » (art. XX.97/22 CDE).

La faillite silencieuse n’en reste pas moins un préparatif. Le transfert n’aura lieu qu’après la déclaration de faillite et sera alors examiné par le tribunal selon les règles classiques de la faillite. Entre-temps, aucun sursis de paiement ni aucune protection contre une créance en faillite ne s’appliquent.

Remise de dettes automatique d’une personne physique en faillite

Le projet de loi prévoit qu’une personne physique en faillite est automatiquement libérée de ses dettes résiduelles lors de la clôture de la faillite, sans avoir à introduire une autre demande formelle à cet effet (articles XX.171 et 173, §1 CDE). Si le failli a commis des fautes graves et caractérisées qui ont contribué à la faillite ou s’il a sciemment omis de fournir des informations quelconques ou s’il en a fournies d’inexactes aux questions du curateur ou du juge-commissaire, tout intéressé peut demander que la remise de dettes soit refusée en tout ou en partie (art. XX.173, §3 CDE).

Conclusion

La transposition de la directive redessinera le Livre XX du CDE. Les premières impressions sur les changements à venir sont largement positives. Les nouvelles possibilités d’agir en privé sont prometteuses. La modification de la nature des transferts sous autorité judiciaire et la suppression de l’obligation pour les personnes physiques en faillite de déposer une demande formelle de remise des dettes résiduelles sont également à saluer. Il n’est pas certain que les nouvelles règles relatives à la réorganisation judiciaire par accord collectif soient totalement avisées pour les grandes entreprises. Il est positif que le projet de loi épargne les PME à cet égard car la complexité des nouvelles règles pour les grandes entreprises risquait d’être prohibitive pour de nombreux franchisés en particulier. Dans la pratique, une consultation transparente entre le franchiseur et le(s) franchisé(s) sera essentielle pour tirer profit de ces opportunités.

 

Dave Mertens
Cabinet Schoups